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Patañjali - Samādhi Pāda

51 sutras qui introduisent au yoga, aux méthodes et au but

Maintenant

atha yogānuśāsanam (1)

Maintenant (atha), reprendre le contrôle (śāsanam) par (anu) le yoga

Le maître arrête de suivre son chien, il le dirige désormais : Le Soi reprend le contrôle du souffle, du mental et des sens, à la place que les sens emportent le mental, le souffle et le Soi.

atha yogānuśāsanam (1)

Désormais commence la révélation du yoga

Une phase de la vie est terminée et une nouvelle phase commence: la voie du yoga qui mène à la libération de la souffrance humaine qui a sa racine dans l’ignorance.

Le premier mot du texte, “atha – maintenant”, le résume en entier. Maintenant signifie:

  • Pas de passé
  • Pas d’avenir
  • Une totale attention, sans réserve

Il s’agit d’arrêter de se séparer en interprétant, en discutant, en argumentant. Il est temps de passer de la philosophie à l’expérience.

atha résonne comme “désormais”. Une fois engagé sur le chemin du yoga, ou plus généralement sur le chemin spirituel, il n’y a plus vraiment de retour possible. Une fois que le voile de l’illusion commence à se déchirer, ce n’est plus jamais comme avant. C’est comme prendre la pilule rouge dans Matrix.

Patañjali transmet (anuśāsanam) ce qu’il a reçu. La transmission requiert l’engagement de l’élève et de l’enseignant.

L’état du yoga

Patañjali définit le yoga ainsi:

yogaś citta-vṛtti nirodhaḥ (2)

Le yoga est la maîtrise des activités du mental

L’âme, le Soi, doit contrôler le souffle, le mental et toutes ses activités et les sens.

Sinon, le mental dirige, très influencé par les sens.

La différence, entre l’ignorance source de souffrance et la liberté absolue source de la Joie, ne se fait pas dans les circonstances ni dans la Réalité, mais dans le mental.

Le mental maîtrisé permet de refléter la Réalité. La Réalité, c’est sat – cit – ānandā, existence – conscience – béatitude. Tout dans le monde emprunte son existence à la Réalité. Rien n’existe en soi, comme la table en bois n’existe pas sans le bois. Le monde n’est fait que de noms et de formes. Il n’est pas substantiellement réel, seulement expérientiellement réel. La Réalité ne change jamais, elle est indépendante du temps et de l’espace. Le temps et l’espace sont des idées, des projections.

Le mental comprend

  1. le mental analytique manas,
  2. le cœur/mémoire citta,
  3. l’intelligence buddhi et
  4. l’ego ahaṃkāra.

La partie du mental la plus problématique, celle qui demande le plus de travail et génère le plus de souffrances, est probablement citta. Il nous faut contrôler et nettoyer toutes nos mémoires émotionnelles, programmations, préférences, identifications, …

Vraie nature – svarūpa

tadā draṣṭuḥ svarūpe avasthānam (3)
vṛtti sārūpyam itaratra (4)

Alors, le témoin est établi dans sa vraie nature (3)
Sinon il s’identifie aux formes reflétées dans le mental (4)

Le mental est maîtrisé quand et seulement quand nous sommes établis (avastha) dans notre vraie nature (svarūpa) : draṣṭa, celui qui voit et qui est situé avant le mental, avant même les sphères élevées du mental.

Soit on croit que l’on voit l’oasis, soit on sait qu’il s’agit d’un mirage.

Notre vraie nature est être-conscience-béatitude. Le monde est une projection, créée, habitée et jouée par la conscience-source.

Le mot draṣṭa, “celui qui voit”, est bien choisi. Il est religieusement neutre, ce traité sur le yoga veut éviter tout débat philosophique, il veut inviter à la pratique. Il est aussi bien choisi car il indique clairement la nature de l’Être Suprême : Derrière les yeux (qui voient le monde), il y a le mental (qui voit aussi les yeux). Derrière le mental, il y a la conscience (qui voit aussi le mental). Derrière la conscience, il n’y a rien d’autre que la conscience elle-même.

Soit on est dans l’état du yoga, et on voit que “je suis la conscience-source/celui qui voit/l’âme/la lumière”, soit on est dans l’illusion, avec l’expérience de souffrance qui va avec. La personne la plus heureuse du monde, sans être dans cet état du yoga, n’est pas pleinement heureuse, il lui reste un sentiment de séparation et son univers est limité. Elle va mourir.

La conscience “magnétise” le mental, et toute la création, et leur donne l’apparence d’être conscients ou vivants. Si la conscience se retirait, il n’y aurait plus de vie. Nous croyons que le corps, à travers le cerveau, est conscient par lui-même. C’est une illusion. Nous sommes perdus comme quand nous regardons un film et oublions que c’est un film, et avons peur, pleurons, … Si l’on enlève le corps, le mental et l’univers, draṣṭa est toujours là.

Tout apparaît dans la conscience, par la conscience. En-dehors de la conscience, il n’y a rien. Et si quelque-chose existait hors de la conscience, personne n’en saurait jamais rien.

Les activités mentales – vṛtti

vṛttayaḥ pañcatayyaḥ kliṣṭākliṣṭāḥ (5)

Les cinq activités du mental sont porteuses ou non de souffrance (5)

Les activités mentales (vṛtti) font généralement écran à la Réalité. 
Le sentiment de séparation est source de souffrance. 
Ces activités ne sont pas en elles-mêmes négatives. Cependant, tendanciellement, elles conduisent à l'attachement.

pramāṇa viparyaya vikalpa nidrā smṛtayaḥ (6)

La perception directe, l’erreur, l’imagination, le sommeil et la mémoire (6)

Cette répartition des activités mentales en cinq catégories est en lien avec les cinq cakras, de mūlādhāra à viśuddha.

pratyakṣānumānāgamāḥ pramāṇāni (7)

La perception directe, l’inférence est le témoignage sont les modes de la connaissance juste (7)

La connaissance, même juste, est un obstacle. Elle est potentiellement porteuse de souffrance.

Hors de l’état du yoga, quand draṣṭa n’est pas établi dans sa propre nature, les activités du mental renforcent l’expérience de séparation et de souffrance. Tendanciellement, tant que notre mental n’est pas entièrement sous contrôle, tous les mouvements du mental ont tendance à renforcer notre attachement au monde extérieur.

viparyayo mithyājñānam atadrūpapratiṣṭham (8)

La connaissance fausse est basée sur une perception erronée de la réalité (8)

La connaissance fausse sépare de la Réalité, comme les autres vṛtti, et provoque un décalage d’avec le monde.

Les sens sont faibles et le mental agité. Ces deux facteurs contribuent à viparyaya.

Les connaissances fausses sont nos croyances non solidement validées par la perception directe, l’inférence ou le témoignage de quelqu’un de compétent. Sans faire d’analyse, nous croyons tous ne pas être sujets à ces erreurs grossières. Hors, nous avons tous plein de points de vue et de croyances non-fondés. Par exemple, les valeurs morales et les idées politiques sont souvent personnelles et dépendent fortement de notre niveau de conscience. Si l’on demande à une femme “Est-ce que l’on devrait avoir le droit d’avorter ?”, les réponses classiques sont “Absolument, c’est mon corps, je fais ce que je veux”, “Non, c’est très mal d’avorter, c’est un crime contre la vie et c’est illégal” et “Il vaudrait mieux généralement ne pas avorter, mais il faut analyser les situations au cas par cas”. Il n’y a pas de réponse juste universelle. La réponse juste dépend de l’état de conscience et des circonstances. Dans l’instant présent, avec un mental calme, sans attachements, on sait ce qui est juste. Mais l’instant d’avant et celui d’après, on ne sait pas et on n’a pas besoin de savoir. Un mental calme est bien plus puissant et utile qu’un mental rempli de croyances. Les croyances, de plus, amènent de nombreux conflits. 

Faites appel à viveka, le discernement, de manière à bien distinguer ce qui est établi dans la réalité et ce qui ne l’est pas.

Arrêtez de défendre vos croyances, cultivez plutôt la compassion.

śabdajñānānupātī vastuśūnyo vikalpaḥ (9)

L’imagination, fondée sur des mots, n’est qu’échafaudage intellectuel, dépourvu de réalité (9)

Le mental est naturellement attiré par les fruits de l’imagination. Quand on s’attache à ces idées dépourvues de réalité, on vit dans le rêve éveillé. 

abhāva pratyaya alambanā vṛttir nidrā (10)

Le sommeil est l’activité mentale fondée sur le néant (10)

Une interprétation commune, assez littérale du sutra, est qu’il y a une activité mentale dans le sommeil profond avec le néant comme objet. 

Le grand sommeil est de ne pas savoir qui je suis.

Même riches matériellement, nous sommes très pauvres spirituellement car nous sommes insatisfaits. Cette pauvreté, cette dépendance à la matière, c’est le grand sommeil.

La véritable richesse, c’est la vie. Elle s’acquiert par le prāna.

anubhūta viṣayāsampramoṣaḥ smṛtiḥ (11)

La mémoire est la récurrence des impressions recueillies (11)

Tant que nous sommes identifiés, attachés, à nos mémoires, nous sommes prisonniers de notre fausse identité.

Se souvenir, s’il y a le moindre lien personnel, c’est rendre actuelle la prison du passé.

Nos actions (karma) laissent des traces (saṃskāra) en nous. Nous stockons toutes nos émotions avec lesquelles nous sommes en lien personnel. Ces traces, ou mémoires, nous conditionnent. Il faut nous en débarrasser, c’est à cette fin que beaucoup de techniques de yoga sont dédiées.

Les cinq vṛtti doivent être maîtrisés. Le sutra suivant indique comment l’on arrive à la maîtrise des activités mentales.

La méthode – abhyāsa + vairāgya

abhyāsa vairāgyābhyāṁ tannirodhaḥ (12)

On acquiert la maîtrise des activités mentales par la pratique et l’équanimité (12)

La pratique (abhyāsa) doit être accompagnée de non-attachement (vairāgya = « au-delà des rythmes »). Les sutras suivants définissent la pratique et le non-attachement. Sans travail, rien n’est accompli. Si l’on se donne des excuses pour ne pas tout donner à la pratique, on n’atteint rien de valeur. Si l’on est attaché à un résultat, on se décourage ou on se congratule. Les deux nous freinent.

tatra sthitau yatno’bhyāsaḥ (13)

La pratique est l’énergie déployée en vue de maintenir le mental établi (13)

Le but de la pratique est d’établir le mental, de le stabiliser, puis de le maîtriser. Cette pratique ne requiert ni un lieu particulier, ni un moment particulier, ni des circonstances favorables. Porter attention au prāna est tout ce qui est requis.

satu dīrghakāla nairantarya satkārādarāsevito dṛḍhabhūmiḥ (14)

La pratique est pour longtemps, ininterrompue et avec ferveur. Elle donne alors une fondation solide. (14)

Les fruits de la pratique dépendent naturellement de son intensité et de sa durée. La pratique est comme un feu que l’on allume et que l’on ne laisse pas s’éteindre. Si le feu s’éteint, il y a un travail à recommencer.

dṛṣṭānuśravika viṣaya vitṛṣṇasya vaśīkārasañjñā vairāgyam (15)

L’équanimité est l’état de conscience triomphant de celui qui s’est affranchi des désirs de ce monde et de l’autre (15)

Il s’agit d’obtenir un mental dont l’état ne dépend plus, en aucune manière, du monde, imaginé ou perçu. Il s’agit de rester au-delà des perceptions et de leurs interprétations, au-delà de l’ego, des désirs, de la colère, de l’anxiété, …

tatparaṁ puruṣakhyāter guṇavaitṛṣṇyam (16)

L’équanimité suprême est le détachement face au jeu des énergies fondamentales, lorsque l’on connaît le Soi (16)

Il s’agit de dépasser notre soif pour les objets et les expériences. Cette soif ne s’éteint que lorsque l’on connait parampuruṣa, le Soi Absolu. La seule action de parampuruṣa dans notre corps est d’y maintenir le souffle. Observer le souffle (abhyāsa), avec renoncement (vairāgya), permet de « remonter » jusqu’à parampuruṣa.

La connaissance extérieure – samprajñāta

vitarka vicāra ānanda asmitā rūpa anugamāt samprajñātaḥ (17)

La discussion, le jugement, la paix, l’ego, les formes, ou leurs absences, mènent à une connaissance extérieure (17)

Les cinq cakras, de viśuddha à mūlādhāra, nous impliquent dans une connaissance du monde à laquelle nous nous lions facilement.

virāma pratyayābhyāsapūrvaḥ saṁskāraśeṣo’nyaḥ (18)

Une pratique constante met fin au saṁskāra. Quelque-chose d’autre apparaît alors. (18)

Le saṁskāra, généré par nos actions et notre attachement au monde, peut être éliminé par une pratique constante de tous les instants, à chaque souffle.

bhavapratyayo videhaprakṛtilayānām (19)

Votre prakṛti (nature, caractère, qualité) doit être immergée en tout temps au-delà du corps. (19)

Plus le mental est calme/concentré, plus il est possible de s’identifier à quelque-chose de grand. Il s’agit d’avoir pour corps non-seulement le petit corps, mais l’univers entier, et ultimement, de s’identifier au Témoin, avant la création. En s’établissant au-delà du corps, on ralentit la création de nouveau karma et on libère les mémoires personnelles (saṁskāra).

La conscience divine – prajñā

śraddhā vīrya smṛti samādhi prajñā pūrvaka itareṣām (20)

D’une pratique effectuée avec dévotion et détermination, en samādhi, découle toutes les autres choses (20)

Avec la pratique, les cinq constituants de saṁskāra au sutra I-17 se transforment en ces cinq qualités.

Elles sont ici mentionnées de mūlādhāra à viśuddha. La dévotion, la foi (śraddhā), remplace la forme dans le centre du coccyx. L’énergie, la détermination (vīrya) prend la place de l’ego. La mémoire divine, le chemin (smṛti), remplace la paix et l’absence de paix. Le feu de smṛti consume tout, amenant ainsi à la vraie paix, au-delà du jugement, à la félicité, au samādhi. La discussion et la non-discussion laissent la place à la conscience divine (prajñā).

tīvra saṁvegānām āsannaḥ (21)

Ceux qui pratique avec ardeur trouveront le succès (21)

La pratique doit être continue et intense pour amener le succès. Une pratique en demi-teinte donne trop de pouvoir au monde. Si l’on essaie de se faire obéir en étant peu clair et hésitant, le succès est très peu probable. En étant intègre, clair et constant, le succès est presque garanti.

mṛdu madhyādhimātratvāt tato’pi viśeṣaḥ (22)

On trouve ici encore des différences selon que l’on y consent un effort faible, moyen ou intense (22)

Autre traduction: Vous devez trouver, au milieu cette voyelle si particulière, subtile et intérieure.

ikāra (ई) svakāra (श्व) rakāra (र)
inspir pause expir
énergie soi forme

īśvara praṇidhānād vā (23)

On y accède aussi par l’abandon de soi au divin (23)

Patañjali dit avant qu’il faut du travail, du travail, du travail et du non-attachement. Après avoir parler plus en détails de la pratique intense, il va plus loin avec le non-attachement en parlant d’abandon de soi au divin.

Autre traduction:
Par la pratique constante du prāṇāyāma : īśvara praṇidhāna.

ikāra, l’énergie de vie, monte, avec l’inspir, vers sva, le Soi, qui l’attire, dans ājñā cakra. De leur union nait la lumière et la forme rakāra, avec l’expir.

Le témoin et le monde

kleśakarmavipākāśayairaparāmṛṣṭaḥ puruṣaviśeṣa īśvaraḥ (24)

On ne peut pas accéder à īśvara par kleśa (souffrance) karma (action) ou vipākā (maturation). īśvara est de même nature que puruṣa (la grande âme) (24)

Le monde a une nature différente de puruṣa. Il ne permet pas de remonter vers lui.

tatra niratiśayaṁ sarvajñabījam (25)

Là, dans īśvara, bien au-delà, se trouve la graine (bīja) de toute (sarva) connaissance (jñana) (25)

La graine de toute manifestation réside dans īśvara, au-delà de ces manifestations. Il n’est pas possible pour l’être humain d’accéder à cette connaissance, mais il peut devenir la graine, la racine de la connaissance, sarvajña bīja, de la méditation.

pūrveṣāmapi guruḥ kālenānavacchedāt (26)

Il est au-delà du temps. Il est votre guru (26)

Il était là avant cet univers et sera encore là après. Il vous guide par son murmure, il est votre satguru. Il réside à l’intérieur du crâne. Il est le feu inextinguible des évangiles, le buisson ardent qui ne se consume pas.

om

tasya vācakaḥ praṇavaḥ (27)

Son symbole est le omkāra (27)

Le graphisme "aum" représente le chemin que le souffle parcourt dans le corps.

aum

tajjapas tad artha bhāvanam (28)

Ce souffle est une répétition, un chant intérieur constant.  Il est la racine d’une contemplation intérieure permanente. (28)

Le véritable japa n’est pas une récitation extérieure, mais l’observation du chant de votre souffle, de sa répétition constante.

tataḥ pratyakcetanādhigamo’ pyantarāyābhāvaś ca (29)

Avec le souffle, vous devez aller consciemment à l’intérieur. Mais vous en êtes également séparé : là se trouve votre déficience intérieure. (29)

Plus on se concentre sur quoi que ce soit d’extérieur, plus nous sommes éloignés du Soi. Il faut aller à l’intérieur, avec le souffle.

Les sutras 28 et 29 peuvent aussi être traduits par : īśvara peut être invoqué par le om. Par là on peut atteindre la connaissance de soi et éliminer les obstacles.

Les obstacles et les attaches

vyādhi styāna saṁśaya pramādālasyāvirati bhrāntidarśanālabdha bhūmikatvānavasthitatvāni citta vikṣepās te'ntarāyāḥ (30)

Maladie, fatigue, doute, difficultés, paresse, inconstance, illusions, illusions perdues, instabilité et confusion de citta, sont les causes de la séparation (30)

Si notre intérieur n’est pas saturé de prāna, de lumière, ces obstacles s’installent et renforcent l’expérience de séparation.

duḥkha daurmanasyāṅgamejayatva śvāsa praśvāsā vikṣepa sahabhuvaḥ (31)

La tristesse, l’anxiété, le corps, l’agitation, la respiration et la confusion nous impliquent dans le monde (31)

Dès la naissance, dès le premier souffle, nous avons tendance à nous identifier au corps et au monde. La respiration, en particulier quand elle est irrégulière en raison de la présence d’émotions, renforce notre attachement au corps et au monde. En «remontant» à la source de la respiration, on peut faire le chemin inverse de se détacher du monde et de retrouver le soi.

Remède et pratique

tat pratiṣedhārtham ekatattvābhyāsaḥ (32)

On peut y remédier en pratiquant constamment en union avec l’être intérieur (32)

La pratique est nécessaire pour purifier les éléments dans les centres, dissoudre les attachements au monde.

maitrī karuṇā muditopekṣāṇāṁ sukhaduḥkha puṇyāpuṇya viṣayāṇāṁ bhāvanātaścitta prasādanam (33)

On purifie le mental en cultivant la bienveillance envers le joyeux, la compassion envers le malheureux, la joie à l’égard de la vertu et l’indifférence à l’égard du vice (33)

Quand par la pratique toutes les dualités sont consumées, le mental s’apaise.

pracchardana vidhāraṇābhyāṁ vā prāṇasya (34)

Il est possible d’y parvenir en observant l’inspir et l’expir ou en se concentrant sur l’énergie de vie (34)

Le but ultime peut être atteint, avec une technique adéquate, par une concentration profonde sur le prāṇa, la force de vie. Quand le prāṇa est sous contrôle, citta aussi est sous contrôle.

viṣayavatī vā pravṛttirutpannā manasaḥ sthitinibandhinī (35)

On peut atteindre la stabilité mentale en demeurant présent à tout objet, dès qu’il se manifeste (35)

Quand les objets matériels se présentent, le mental les reflètent. S’attacher à ces manifestations est le piège à éviter. Il faut cultiver la lumière intérieure pour se libérer de cette tentation de s’attacher à la manifestation.

La lumière intérieure jyotiṣmatī

viśokā vā jyotiṣmatī (36)

Au-delà de l’affliction ou dans la lumière intérieure (36)

Quand par la pratique on s’établit au-delà de l’affliction ou dans la lumière intérieure, c’est une étape de valeur, mais le but ultime n’est pas encore atteint.

vītarāgaviṣayaṁ vā cittam (37)

Au-delà des fluctuations matérielles ou par citta (37)

Quand on s’établit au-delà des fluctuations, on n’a plus d’actions. Il n’y a plus ni de gains ni de pertes. On devient alors citta. La paix intérieure qui en résulte n’est pas encore le but.

svapna nidrā jñānālambanaṁ vā (38)

A l’aide du rêve et du sommeil ou par la connaissance (38)

La connaissance est crée par citta, au même titre que le rêve ou le sommeil. Par la connaissance, on obtient donc le même résultat que par le sommeil ou le rêve, c’est-à-dire spirituellement rien.

La méditation dhyāna

yathābhimata dhyānād vā (39)

Comme cela a déjà été dit, il faut contrôler par la méditation (39)

Pour contrôler citta, il faut se comporter avec précaution pour ne pas la perturber. Mais un comportement strict et austère ne suffit pas pour obtenir ce contrôle, il faut d’abord méditer.

paramāṇu parama mahattvānto’sya vaśīkāraḥ (40)

Cette énergie souveraine, cette voie noble et suprême, vous apportera une profonde maîtrise intérieure (40)

vaśīkāra est le contrôle de toutes les perturbations. Ce contrôle est possible grâce à l’énergie générée par īśvara praṇidhāna, c’est-à-dire par la méditation. Le contrôle de mental n’a pas sa source dans le mental, mais dans le yoga, depuis īśvara.

kṣīṇa vṛtter abhijātasyeva maṇer grahītṛ grahaṇa grāhyeṣu tatstha tadañjanatā samāpattiḥ (41)

La manifestation des actions disparaîtra progressivement par l’énergie qui réside à l’intérieur et deviendra aussi pure que le crystal. Cette existence intérieure a été, est et sera acceptée comme le seul remède pouvant mettre un terme à toute manifestation. (41)

Par la méditation, les manifestations et les actions intérieures s’amenuisent.

śabdārthajñānavikalpaiḥ saṅkīrṇā savitarkā samāpattiḥ (42)

Dans le non-jugement, le silence, il faut réduire et déraciner la cause des sons, la connaissance et le rêve éveillé (42)

La véritable intériorisation commence quand on coupe les liens avec l’extérieur. Tout nom, toute forme, toute connaissance, juste ou fausse, toute pensée et toute émotion, fait partie du monde extérieur.

smṛtipariśuddhau svarūpaśūnyevārthamātranirbhāsā nirvitarkā (43)

La mémoire étant purifiée à chaque instant, il y a la vacuité de notre propre forme, le sans-forme, un état au-delà même du silence (43)

Toute mémoire doit être abandonnée. Si quelque forme que ce soit subsiste dans le mental, nous ne pouvons pas être sans forme, pas atteindre nirbhāsa.

etayaiva savicārā nirvicārā ca sūkṣmaviṣayā vyākhyātā (44)

Notre propre forme, svarūpa, ne se situe ni dans le jugement ni au-delà du jugement, ni dans la matière subtile, ni dans l’analyse (44)

Le samādhi

sūkṣmaviṣayatvaṁ cāliṅgaparyavasānam (45)

L’aboutissement se trouve là où réside cette matière subtile indifférenciée (45)

Cette subtile énergie intérieure qui habite tous les êtres vivants ne peut pas être décrite, elle est totalement indifférenciée. Elle ne peut être atteinte que par le samādhi.

tā eva sabījaḥ samādhiḥ (46)

C’est le samādhi au sein de la graine (bīja) (46)

bīja est la racine de toute chose, au-delà de la manifestation. On médite sur quelque-chose, un son par exemple. Quand on arrive dans la racine de ce son, avant la manifestation, on est dans bīja.

nirvicāravaiśāradye’dhyātmaprasādaḥ (47)

Se spécialiser dans l’au-delà du jugement amène dans l’âme intérieure, à la paix intérieure (47)

Si nous progressons jusqu’à la racine, jusqu’au prāna, la mémoire s’efface et tout jugement disparait. Quand la mémoire reste vide longtemps, on entre dans la graine. On est alors dans la paix de l’âme.

ṛtambharā tatra prajñā (48)

Là, cet état de pleine sagesse est source de vérité (48)

L’état de samādhi est l’état du non-manifesté. Il est source de la sagesse, prajñā.

śrutānumānaprajñābhyāmanyaviṣayā viśeṣārthatvāt (49)

Cette sagesse est d’une autre nature que celle issue d’un témoignage ou d’un raisonnement, elle touche directement l’essence du réel (49)

Le samādhi est l’état de vérité et de sagesse. Il ne peut pas être atteint par l’écoute, le son ou l’imagination. Il ne peut pas être décrit. Il est l’état sans parole, la Vacuité.

tajjaḥ saṁskāro’nya saṁskāra pratibandhī (50)

Le saṁskāra (fruit, impression mentale) qui en émerge est très différent de celui créé par toutes les attaches (pratibandhī) (50)

L’expérience du samādhi a l’effet d’un baptême, il nous fait naître à notre dimension spirituelle.

tasyāpi nirodhe sarvanirodhān nirbījaḥ samādhiḥ (51)

Une fois que le samskāra issu de toutes vos attaches est arrêté, vous parvenez à nirbīja samādhi, le samādhi au-delà de la graine (51)

Avec la pratique de la méditation et du samādhi, le karma est brûlé. Quand le samskāra en lien avec le monde est épuisé, il est possible, par le samādhi, de se maintenir au-delà de toute graine (nirbīja), de se libérer définitivement de tout désir et de la souffrance qui en découle immanquablement.